jeudi 26 septembre 2013

UN PEU DE NOSTALGIE...


                                           Algérie

 

 

Je n’ai pas besoin de livres pour me rappeler,

De photos,

Pas besoin de mémoire artificielle

Ou d’images racoleuses…

Les cartes postales ne m’apprendraient rien de plus.

Le sens de ma vie était là

Dans le vide et le frisson de l’air sur ma peau nue,

Le miroitement du soleil sur le mica multiple des dunes

Jaunes comme tout l’or du monde.

Cela se passait sous des climats arides ;

Il ne pleuvait qu’une fois l’an,

Parfois jamais.

Les hommes pour survivre n’avaient que leur bonne volonté,

Dure comme l’airain, insensible.

 

Je dansais dans les sables,

Je roulais au bas de la dune en riant,

Je n’avais peur ni du fennec ni du cobra royal.

La source était en moi, vibrante,

Pur joyau d’énergie,

Incompréhensible et solaire,

Incontournable.

Ah,  jeunesse… enfance bénie

Quand les sens ne sont pas encore endormis,

Quand les sens sont ta seule connaissance

Et tu ne te trompes jamais car tu sais.

Oui, ton corps sait qui ne se trompe pas.

Puis sont venus  l’école, l’apprentissage de la vie et des autres.

Alors tu as commencé à te fourvoyer,

A apprendre la raison des hommes de l’autre monde,

Ce monde blanc et cruel pour lequel tu n’étais pas faite,

Ce monde encombré de savoirs inutiles et de gadgets.

 

Toi, il te fallait l’austérité du lait de chèvre,

Le caillou sec du fromage de chamelle fondu dans le thé vert.

Tu vibrais au son de la flûte berbère là-haut dans les Aurès froids

Et ton cœur s’ouvrait comme une grande plaie pour laisser entrer tout l’amour du monde quand tu voyais et écoutais le petit berger, seul, tirer de sa flûte sobre les sons qui s’enroulaient dans le vent de la plaine

Et les moutons sages l’écoutaient en paissant entre les cailloux pointus de l’Oranais.

Car ce berger était partout, doué d’ubiquité.

Je l’ai retrouvé en tout paysage algérien, comme une figure de proue en haut des collines noires pelées, en haillon, altier et inconscient de sa beauté sauvage.

Tu ne trouvais rien à redire contre ce monde parfait à cet instant,

Pur comme un diamant que l’intelligence humaine n’a pas taillé pour le dévoyer et l’instrumentaliser,

Pour en tirer profit et ensemencer mort et doutes grâce aux registres pourris de ses comptes en banques et les listes de chiffres stériles et virtuels de ses ordinateurs.

Tout ton corps vibrait dans le vent frais de l’hiver.

Tu te souviens des émotions physiques, des odeurs, des sons,

Tu étais riche et jeune ou faut-il penser riche parce que jeune ?

Tu vois : maintenant le doute s’est insinué,

Malsain et revendicateur.

Tu ne sens plus, tu penses !

Tu n’en finis plus de lécher et panser tes plaies

Mais tu ne guéris plus de ce mal de l’inutile

De cet envahissement par l’inutile,

Médias, bruits des moteurs, publicité, machines idiotes.

Toi, tu étais sobre comme le chameau

Et tu t’es laissé envahir par cet univers grotesque de faux-semblants et d’assurances sur l’avenir.

Mais tu sais bien, toi, qu’on ne prévoit pas le jour de sa mort !

Vivre en Occident n’est pas facile : on s’y perd de vue aisément, on n’entend plus le chant de son âme.

On l’oublie si l’on n’est pas sur ses gardes car il faut s’en cesse se protéger du mercantilisme imbécile et du chantage à la mort.

 

Dans ce pays l’été n’avait pas de pudeur de jeune fille :

Il ne s’annonçait pas par un printemps interminable.

Le printemps durait peu et l‘été ne venait pas pas à pas ;

L’été brutal tombait comme un couperet.

La chaleur t’envahissait jusqu’à dissoudre ton corps dans l’infinité de la nature,

Souviens-toi…

Tu ne faisais qu’un avec la palpitation du ciel,

Avec l’odeur sombre de la Méditerranée quand tu descendais  à Bouzedjar

Et que tes membres se nouaient à l’eau pour la grande leçon d’intimité avec la nature, la seule leçon qui vaille !

Tu étais le nuage rare et la claque insolente du soleil, tu étais l’humidité de tes propres aisselles et le ruissellement dans ton dos de cette eau incontrôlable qui suintait de toi, de ta propre source.

Tu étais le goût salé sur tes lèvres de ta propre transpiration et celui de la Mère Méditerranée.

Tu étais le feu et la flamme, l’eau et le sable, la pierre et le désert.

Tu te dissolvais dans l’air avec la sagesse des vieux yogis qui savent que nous ne sommes rien que ce qui nous entoure.

Tu ne luttais pas, tu aimais cela,

Cette promiscuité avec la nature et l’essence du monde.

Tu te laissais couler dans le mouvement de ta sensualité

Car tu savais que la vérité se niche au sein du néant.

Tu savais le plein et le vide,

Tu nichais quelque part entre rien et tout.

Et tout, absolument tout passait par le filtre de ta peau

Et non par ta raison.

Dieu était en chaque chose, Dieu était chaque atome et tu étais une partie de cette infinité, une infime parcelle de Dieu.

Tu touchais  Dieu à chaque mouvement parce que tu te frottais aux atomes.

Tu vivais dans une grande spiritualité et tu l’ignorais !

Tu étais l’eau et le vent, la terre et la poussière

Et dans les oasis ton cœur chantait la chanson du bonheur.

 

Timimoun, Ô Timimoun , Rouge Perle du Gourara, Oasis aux verts palmiers porteurs de vie.

La datte était suave à ton palais,

L’eau magicienne courait dans les séguias et te donnait la main pour découvrir le pays et ses hommes.

Le bonheur était dans la chaleur contre ta peau, dans l’air rieur et les sourires des enfants agitant des mains multiples au passage de la Peugeot fatiguée de ton père ;

L’amour éclatait dans ton cœur et ta joie était ta source de vie, ton énergie.

Qui mieux que moi peut évoquer la beauté de ce monde africain appris dans l’enfance ?

J’ai communié avec ses peuples dans l’innocence de l’enfance.

Je n’ai compris que plus tard la portée du racisme

Quand j’ai vécu en France.

Ma bonne m’amenait avec un seul œil à l’école, en voile et en haïk.

Cela ne m’a jamais intrigué : c’était naturel, elle avait droit à ses différences comme j’avais droit aux miennes.

J’étais sage alors.

Elle m’a appris à mettre le voile, par jeu, par fierté.

J’ai été fière de l’apprendre.

L’échange était  équilibré entre nous, implicite.

Nous ne nous posions pas de questions devant l’évidence,

Nos cultures étaient différentes, souvent inverses :

Pourquoi aurions-nous trouvé à y redire ?

Tout était joué d’avance : nous n’avions pas choisi.

Nous nous contentions d’accepter et de vivre.

Elle s’appelait Fatma,

Elle était ma seconde mère.

Pourtant nous savions que cela devait cesser un jour.

C’était cruel et nous faisions comme si de rien n’était.

Cela advint bien sûr et ce fut une rupture de plus à ajouter à mon jeune âge.

Je ne puis penser à elle sans que les larmes me montent encore aux yeux.

Il y eu d’autres bonnes, d’autres mères secondes, il y en eu même une amie belge, Denise, d’autres séparations, d’autres pleurs.

Je n’ai rien choisi dans ce jeu cruel de la vie.

Il y eu Madame Touil  et Hafida mais surtout Barka.


Il y eu Amal, Khadija et Salwa, inoubliable Salwa.

Leur souvenir me ramène aux odeurs, aux chants, à la langue.

Et du fin fond de ma mémoire, je revois les oasis, les ksour abandonnés, les dunes blondes, les sourires des femmes, leurs mains aux gestes infiniment élégants qui se voilaient la face quand mon père tentait de les filmer avec sa caméra super-huit.

La chaleur est là, palpitante, et les mouches, grosses grappes de raisin noir, se déplacent à la vitesse de l’éclair pour se poser sur les visages des enfants las de se défendre.

Des souvenirs de misère, de beauté, de sauvagerie….

Ô, les minuscules marabouts blancs ponctuant l’espace comme des moutons posés sur les collines douces, et la mélancolie émanant de ces paysages désertés,

Et l’enchantement soudain de l’arrivée à Bouzedjar quand, au détour de la route, surgissait la Méditerranée, bleue comme un saphir immense !

L’air devenait léger, insolent, d’une autre nature.

Il promettait le bonheur, la facilité, la sensualité,

Il sentait les embruns salés de la mer.

Nous nous installions dans le cabanon délabré pour des jours d’insouciance et de bonheur.

Je voudrais aujourd’hui m’installer à nouveau dans ce même cabanon, cette même insouciance qui est à la fois qualité et preuve ultime du bonheur.

Je te parle de temps et de jours que tu n’as pas connus  

Comment puis-je te rendre vivante cette joie avec de simples mots ?

Comment pourrais-tu ressentir cette transcendance du corps, cette unicité avec l’univers, cette simplicité qui nous saisit quand nous vivons en accord avec notre propre nature ?

Mais tu as sans doute connu d’autres temps et d’autres jours pour éprouver le bonheur en d’autres lieux et d’autres circonstances.

Tu as été enfant, toi aussi.

Alors je te le demande : souviens-toi de ton intimité avec ton corps, de ton appartenance au grand Tout avant que ta conscience balaie cette intuition, cette connaissance innée et magnifique qui sont étincelles divines dans l’homme.

Souviens-toi que tu étais vrai, entier, et oublie la folie qui t’entoure, ne te laisse pas envahir, résiste !

Sois qui tu dois être et non du matériel humain, comme certains se plaisent à le dire, non une machine à obéir, acheter, vendre …

Respecte-toi, lève-toi, vis dans la plénitude de tes bras, ta force, ta sueur !

Jouis de tous tes sens, enfin, et oublie les machines qui travaillent pour toi et te rendent inutile ! Relègue-les au néant d’où elles viennent !

Oui, respecte-toi, lève-toi et vis, enfin !

                            Sens !

                              Vis !

 
                                     Laure Gerbaud

                                 Tous droits réservés

 

 

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