lundi 16 juillet 2012

JE T'ENTENDS DE SI LOIN...


                                    JE T'ENTENDS DE SI LOIN...



Je t’ai entendu

Tu as appelé de si loin

De si loin au fond de ta brousse

De si loin parmi les appels du fauve à sa lionne

De si loin parmi la dureté des épineux et des figuiers de barbarie

De si loin au travers des champs de goyaves et des champs de canne à sucre

De si loin au travers des âges Noir à tête couleur de café brûlé

J’ai entendu ton cri jeté à la face de tous les blancs

Entendu ton hurlement de désespoir et ta volonté de survivre

Malgré les privations les coups les crachats malgré tout et contre tous

Noir à la tête couleur de café brûlé je n’ai pas assez de mots pour t’exprimer ma désolation

J’ai honte d’être blanche quand je pense à l’esclavage

Je pense à Walter Sisulu que tout le monde a oublié

Je pense à Nelson Mandela qui a laissé vingt-sept ans de sa vie entre parenthèses

Je pense au  Pasteur Martin Luther King à sa puissance et son énergie

Et je me dis Oui il est parvenu à transformer le regard d’un grand nombre de blancs sur les noirs

Parvenu à leur donner une vie meilleure

Il a laissé sa vie dans ce combat mais il est y  parvenu

Ce noir simple et direct face à ces blancs arrogants

Et maintenant il faut que tes arrières petits enfants trouvent goût au bonheur

Et ce n’est pas une simple affaire

Eux aussi t’entendent sans cesse

Et résonnent  sans cesse en leur tête le son du marteau qui ferme le rivet du bracelet de métal noir
sur ta cheville frêle

Et retentissent en leur tête les coups du fouet sur ta peau zébrée de sang

Et tes pleurs et ta souffrance qui leur arrivent de loin de si loin à travers les siècles et les secondes
de braise de l’histoire

Qui n’est jamais glorieuse

Et il faut faire avec ce substrat qui nourrit l’imaginaire et l’inconscient des nouvelles générations

O Noir à la tête couleur de café brûlé je t’entends de si loin

Au travers du temps et de l’espace

Et tu voudrais que tes arrières petits enfants trouvent la paix de l’âme que tu n’as pas connue

L’apaisement que tu n’as pas connu

Le bonheur que tu n’as pas connu

La joie que tu n’as pas connue

Le rire que tu n’as pas connu

Mais ce n’est pas si simple

Mais comme je te comprends

Je le veux aussi

Mais voilà

L’histoire a laissé des traces caillées de sang et de terreur de ces traces terribles qui ne s’oublient
pas

Vivaces dans les esprits et je t’entends de loin de si loin

Au travers de tes mélopées tristes du fond de ton champ de coton

Et je continue à me demander : comment a-t-on pu ?

Et je sais qu’il n’y a qu’une seule réponse qui me désole et m’éloigne des hommes :

L’homme est un prédateur qui tue l’homme pour le plaisir, la gloire et la puissance.

Je t’entends toujours de loin de si loin

Tu couvres tous les continents de ta voix immense de bluesmen

Car on t’a emmené partout aux confins de la terre

A arpenter le globe pour te laisser loin si loin des tiens

Et là tu as cassé les cailloux des routes que tu construisais

Tu as déplacé des montagnes de terre

Tu as semé des champs de coton de café de betteraves des bananeraies

Pourtant tu avais faim tout le temps

Tes yeux fous de douleur et de fatigue roulaient sur ta figure transpirante

Ta belle figure Noire couleur de café brulé

Tu haletais sous l’effort et les coups

Tu regardais éberlué le monde des blancs et tu ne pouvais y croire

Tout était irréel ce monde à construire pour eux

Dont tu étais systématiquement éliminé

Tu ne valais pas plus qu’une mouche

Qu’on frappe du revers de la main

Le  blanc avait droit de vie et de mort sur toi

Tu te remémorais les soirées en brousse autrefois

Près de ton père et de ta mère tu mangeais le riz-sauce sous les flamboyants

Dans les rires des enfants qui se racontaient leurs dernières bêtises

Dans les lueurs du feu et du couchant

Tu te rappelais les sons et les odeurs d’Afrique

O Noir à teinte couleur de café brûlé

Comment pardonner aux blancs cet arrachement

Et ta langue maternelle tu ne la parlais plus

Alors tu as parlé la langue de l’autre de l’ennemi

Et tu as assisté à ses messes hypocrites car on ne te demandait pas ton avis    

Et tu as entendu les chants de messe de l’ennemi

Et tu as fait ce que tu as pu pour conserver quelque chose de toi dans les nouveaux chants qu’on
t’apprenait de force

Alors tu as inventé le blues où tu as mis ton désespoir  ta sensibilité ta souffrance

Tu as chanté comme on dépose les armes

Car tu n’étais pas violent

Tu ne t’étais pas souvent révolté

La mort te frappait alors de plein fouet

Tu te taisais tu attendais ton heure

En chantant le blues

O Noir à tête couleur de café brûlé

Ton heure est venue

Et tu as retrouvé ton rire

Mais il est si difficile de se construire dans ce monde blanc

Car tu n’es plus depuis longtemps un enfant de la brousse

Mais tu entends parfois l’appel de l’Afrique qui gémit dans ton sang

Traverse les nappes de bruit de la ville celui des voitures imbéciles

Et tu frémis

Tu entends à ton tour de loin de si loin ton ancêtre

Qui chante la mélopée africaine en bêchant sa terre avant que ne vienne la saison des pluies

Et personne n’est là derrière son dos avec le fouet et la haine à la lèvre

Tu sens le parfum de la poussière et du marigot

Tu perçois le frémissement du vent dans les rôniers

Et les coassement du crapaud buffle qui se feront étourdissants à la saison des amours

Le margouillat vert se faufile entre tes pieds

Et tu es toi-même ton ancêtre qui se relève essuie son front du plat de la main

Et la fatigue bat tes reins mais tu lève la bêche encore

Il faut que le travail soit fait dans ton jardin avant de rentrer au village

Et tu souris car tu possèdes cet inestimable lopin de terre

Et toute ta liberté d’homme libre

O Noir à  tête couleur de café brûlé

Tu sais bien que ce n’est pas en mangeant des hamburgers que tu rends hommage à tes ancêtres

Et tu entends parfois encore de loin de si loin le Noir à tête couleur de café brûlé qui t’a donné la vie
 autrefois

Loin si loin dans le temps

Ne le déçois pas

Sois à sa hauteur

Vis pleinement ta vie d’homme libre

Ne te laisse jamais humilier

Car ton ancêtre l’entendrait

Et tu le décevrais

Vous vous ressemblez tellement tous les deux

Malgré le temps et l’espace

O Noirs à tête couleur de café brûlé


                                            Laure Gerbaud
                                        Tous droits réservés.

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