Je t’ai entendu
Tu as appelé de si loin
De si loin au fond de ta brousse
De si loin parmi les appels du fauve à sa lionne
De si loin parmi la dureté des épineux et des figuiers de
barbarie
De si loin au travers des champs de goyaves et des champs de
canne à sucre
De si loin au travers des âges Noir à tête couleur de café
brûlé
J’ai entendu ton cri jeté à la face de tous les blancs
Entendu ton hurlement de désespoir et ta volonté de survivre
Malgré les privations les coups les crachats malgré tout et
contre tous
Noir à la tête couleur de café brûlé je n’ai pas assez de
mots pour t’exprimer ma désolation
J’ai honte d’être blanche quand je pense à l’esclavage
Je pense à Walter Sisulu que tout le monde a oublié
Je pense à Nelson Mandela qui a laissé vingt-sept ans de sa
vie entre parenthèses
Je pense au Pasteur
Martin Luther King à sa puissance et son énergie
Et je me dis Oui il est parvenu à transformer le regard d’un
grand nombre de blancs sur les noirs
Parvenu à leur donner une vie meilleure
Il a laissé sa vie dans ce combat mais il est y parvenu
Ce noir simple et direct face à ces blancs arrogants
Et maintenant il faut que tes arrières petits enfants
trouvent goût au bonheur
Et ce n’est pas une simple affaire
Eux aussi t’entendent sans cesse
Et résonnent sans
cesse en leur tête le son du marteau qui ferme le rivet du bracelet de métal
noir
sur ta cheville frêle
Et retentissent en leur tête les coups du fouet sur ta peau
zébrée de sang
Et tes pleurs et ta souffrance qui leur arrivent de loin de
si loin à travers les siècles et les secondes
de braise de l’histoire
Qui n’est jamais glorieuse
Et il faut faire avec ce substrat qui nourrit l’imaginaire
et l’inconscient des nouvelles générations
O Noir à la tête couleur de café brûlé je t’entends de si
loin
Au travers du temps et de l’espace
Et tu voudrais que tes arrières petits enfants trouvent la
paix de l’âme que tu n’as pas connue
L’apaisement que tu n’as pas connu
Le bonheur que tu n’as pas connu
La joie que tu n’as pas connue
Le rire que tu n’as pas connu
Mais ce n’est pas si simple
Mais comme je te comprends
Je le veux aussi
Mais voilà
L’histoire a laissé des traces caillées de sang et de
terreur de ces traces terribles qui ne s’oublient
pas
Vivaces dans les esprits et je t’entends de loin de si loin
Au travers de tes mélopées tristes du fond de ton champ de
coton
Et je continue à me demander : comment a-t-on pu ?
Et je sais qu’il n’y a qu’une seule réponse qui me
désole et m’éloigne des hommes :
L’homme est un prédateur qui tue l’homme pour le plaisir, la
gloire et la puissance.
Je t’entends toujours de loin de si loin
Tu couvres tous les continents de ta voix immense de
bluesmen
Car on t’a emmené partout aux confins de la terre
A arpenter le globe pour te laisser loin si loin des tiens
Et là tu as cassé les cailloux des routes que tu
construisais
Tu as déplacé des montagnes de terre
Tu as semé des champs de coton de café de betteraves des
bananeraies
Pourtant tu avais faim tout le temps
Tes yeux fous de douleur et de fatigue roulaient sur ta
figure transpirante
Ta belle figure Noire couleur de café brulé
Tu haletais sous l’effort et les coups
Tu regardais éberlué le monde des blancs et tu ne pouvais y
croire
Tout était irréel ce monde à construire pour eux
Dont tu étais systématiquement éliminé
Tu ne valais pas plus qu’une mouche
Qu’on frappe du revers de la main
Le blanc avait droit
de vie et de mort sur toi
Tu te remémorais les soirées en brousse autrefois
Près de ton père et de ta mère tu mangeais le riz-sauce sous
les flamboyants
Dans les rires des enfants qui se racontaient leurs
dernières bêtises
Dans les lueurs du feu et du couchant
Tu te rappelais les sons et les odeurs d’Afrique
O Noir à teinte couleur de café brûlé
Comment pardonner aux blancs cet arrachement
Et ta langue maternelle tu ne la parlais plus
Alors tu as parlé la langue de l’autre de l’ennemi
Et tu as assisté à ses messes hypocrites car on ne te demandait
pas ton avis
Et tu as entendu les chants de messe de l’ennemi
Et tu as fait ce que tu as pu pour conserver quelque chose
de toi dans les nouveaux chants qu’on
t’apprenait de force
Alors tu as inventé le blues où tu as mis ton désespoir ta sensibilité ta souffrance
Tu as chanté comme on dépose les armes
Car tu n’étais pas violent
Tu ne t’étais pas souvent révolté
La mort te frappait alors de plein fouet
Tu te taisais tu attendais ton heure
En chantant le blues
O Noir à tête couleur de café brûlé
Ton heure est venue
Et tu as retrouvé ton rire
Mais il est si difficile de se construire dans ce monde
blanc
Car tu n’es plus depuis longtemps un enfant de la brousse
Mais tu entends parfois l’appel de l’Afrique qui gémit dans
ton sang
Traverse les nappes de bruit de la ville celui des voitures
imbéciles
Et tu frémis
Tu entends à ton tour de loin de si loin ton ancêtre
Qui chante la mélopée africaine en bêchant sa terre avant
que ne vienne la saison des pluies
Et personne n’est là derrière son dos avec le fouet et la
haine à la lèvre
Tu sens le parfum de la poussière et du marigot
Tu perçois le frémissement du vent dans les rôniers
Et les coassement du crapaud buffle qui se feront
étourdissants à la saison des amours
Le margouillat vert se faufile entre tes pieds
Et tu es toi-même ton ancêtre qui se relève essuie son front
du plat de la main
Et la fatigue bat tes reins mais tu lève la bêche encore
Il faut que le travail soit fait dans ton jardin avant de
rentrer au village
Et tu souris car tu possèdes cet inestimable lopin de terre
Et toute ta liberté d’homme libre
O Noir à tête couleur
de café brûlé
Tu sais bien que ce n’est pas en mangeant des hamburgers que
tu rends hommage à tes ancêtres
Et tu entends parfois encore de loin de si loin le Noir à
tête couleur de café brûlé qui t’a donné la vie
autrefois
Loin si loin dans le temps
Ne le déçois pas
Sois à sa hauteur
Vis pleinement ta vie d’homme libre
Ne te laisse jamais humilier
Car ton ancêtre l’entendrait
Et tu le décevrais
Vous vous ressemblez tellement tous les deux
Malgré le temps et l’espace
O Noirs à tête couleur de café brûlé
Tous droits réservés.
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